Cinquante ans après sa création, la CEDEAO traverse une crise existentielle. Alors que ses dirigeants se réunissent à Lagos pour souffler les bougies de ce jubilé symbolique, l’organisation ouest-africaine est plus que jamais fragilisée par des départs retentissants, des défis sécuritaires croissants et une perte d’influence sur la scène régionale.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a célébré e mercredi 28 mai 2024, son cinquantième anniversaire à Lagos, au Nigeria. Mais loin d’un anniversaire serein et fédérateur, c’est dans un climat de divisions profondes et de turbulences géopolitiques que l’événement s’est déroulé. Autrefois saluée comme un bastion d’intégration régionale et de stabilité démocratique, la CEDEAO se trouve aujourd’hui confrontée à des défis majeurs.
Trois départs fracassants, une unité brisée
Le retrait début 2024 de trois pays clés — le Mali, le Burkina Faso et le Niger — tous dirigés par des juntes militaires, a porté un coup sévère à l’image et à la cohésion de l’organisation. Ces retraits, motivés par un rejet croissant de l’ingérence perçue de la CEDEAO et de ses sanctions, illustrent la perte d’autorité d’un bloc autrefois central dans la gestion des crises régionales.
« C’est une atteinte majeure à la capacité de la CEDEAO à incarner les espoirs et l’optimisme de ses débuts », déplore Kwesi Aning, expert en coopération internationale au Centre Kofi Annan d’Accra. « Cela reflète un niveau de leadership désastreux parmi les dirigeants de la CEDEAO », ajoute-t-il.
L’insécurité, un fléau persistant
À ces fractures politiques s’ajoutent des menaces sécuritaires d’une ampleur inédite. Le Sahel est désormais considéré comme l’épicentre mondial du terrorisme pour la deuxième année consécutive, selon l’Indice du terrorisme mondial publié en mars 2024. Des pays comme le Bénin et le Nigeria ont été la cible d’attaques meurtrières ces derniers mois, dans un climat d’insécurité transfrontalière alimentée par la faiblesse des États et les rivalités internes.
Un Nigeria en perte de vitesse
Pays le plus peuplé et l’une des principales puissances économiques du continent, le Nigeria devait logiquement jouer un rôle de locomotive au sein de la CEDEAO. Mais il traverse une série de crises internes — instabilité politique, insurrection de Boko Haram, défaillances économiques — qui entravent sa capacité à impulser un nouveau souffle à l’organisation.
« Le Nigeria est vacillant », souligne un rapport du cabinet SBM Intelligence. « Ses crises internes ont considérablement réduit sa capacité à diriger et à incarner une vision régionale cohérente. »
Un commerce régional asphyxié
L’impact de cette fragmentation se fait également sentir sur le plan économique. La détérioration des relations entre le Nigeria et le Niger, depuis le coup d’État de juillet 2023 à Niamey, illustre les retombées concrètes des tensions politiques. Les commerçants nigérians de la région de Kano, qui acheminaient quotidiennement des cargaisons de céréales vers le Niger, se heurtent désormais à une explosion des taxes et à une recrudescence de la contrebande.
« Nous payions environ 100 000 nairas par camion en droits d’importation avant. Aujourd’hui, c’est cinq fois plus », témoigne Aliyu Abubakar, chauffeur de camion de 40 ans. Résultat : un commerce freiné, des prix à la hausse et une intégration régionale mise à mal.
Un avenir incertain
Au-delà de la fête et des discours officiels, ce cinquantenaire apparaît comme un moment de vérité pour la CEDEAO. « L’organisation est à la croisée des chemins, entre ses ambitions fondatrices d’intégration économique et de paix, et la réalité d’un recul démocratique et d’une fragmentation croissante », analyse SBM Intelligence.
Si elle veut perdurer, la CEDEAO devra impérativement réinventer son mode de fonctionnement, renouer le dialogue avec les États sortants et restaurer la confiance des peuples ouest-africains. À défaut, son jubilé d’or pourrait bien marquer le début d’un lent déclin.
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