Rien ne va entre la Fédération Nationale des Groupements de Producteurs de Coton ( FNGPC COOP-CA) et le Groupe OLAM, qui a pris le contrôle du secteur depuis 2020. À bout de souffle et désabusés, les cotonculteurs togolais exigent et réclament haut et fort le départ du Groupe OLAM tout en interpellant le chef de l’État son excellence Faure Gnassingbé à jouer sa carte de médiation.
Dans le cas contraire, jusqu’où ira le bras de fer entre OLAM Agri, majoritaire à 51% dans l’actionnariat de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT) et la Fédération nationale des groupements de producteurs de coton (FNGPC-COOP CA), minoritaire à 25% ?
Pour comprendre un peu ce qui arrive, remontons juste au 29 juin 2020, bientôt 4 ans, où les députés de la 6ème législature d’alors avaient voté à l’unanimité la cession de 51% des 60% des parts que l’Etat Togolais détenait dans le capital de la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT) au groupe OLAM, géant asiatique.
« La part de l’Etat sera cédée à hauteur de 51% et l’intérêt national représentera 49%, soit 40% pour les cotonculteurs et 9% pour l’Etat », justifiait à l’époque Sani Yaya, ministre de l’économie et des finances. Le montant de la cession sera dévoilé plus tard en conseil des ministres, soit une bagatelle somme de 22 milliards F.CFA.
Auréolé par ses succès au Tchad, en Côte d’ivoire et au Gabon etc., le nouveau patron de l’or blanc, Olam Agri s’est donné le pari fou de déplafonner la croissance de la filière.
Avant OLAM : la production de 137 000t à 116 000 tonnes (plafond)
L’un des arguments avancés pour justifier l’opération de rachat étaient que la croissance de cette filière de rente était plafonnée et qu’il faudrait chercher un bouffée d’oxygène pour atteindre le cap des 200.000 tonnes de coton-graine d’ici 2022.
« Visiblement, tout porte à croire que nous avons atteint nos capacités et c’est pour ça que les producteurs ont apprécié l’apport du partenaire et ont réclamé vivement qu’il arrive », déclarait Noël Koutéra Bataka, ministre en charge de l’agriculture d’alors.
« De 137.000t les deux précédentes campagnes, la production à la dernière campagne est tombée à 116.000tonnes de coton-graine. La production a commencé par plafonner et il faut doubler la production d’ici trois ans », avait-il ajouté pour persuader les députés.
Par rapport au défi lancé, l’arrivée d’un partenaire stratégique était appréciée par plus d’un, même si, certains opérateurs clés du secteur, y mettaient de la réserve, arguant n’avoir pas été consultés. Le bénéfice du doute avait plutôt pris le dessus.
Du côté du gouvernement, cette opération de rachat devrait permettre de renflouer les caisses de l’Etat en liquidités. Et du côté des acteurs de la filière, cette libéralisation permettrait d’asseoir une meilleure gouvernance de la filière.
Le gouvernement est allé plus loin en soutenant qu’il veut d’abord et avant tout assurer la sécurisation de l’approvisionnement en intrants en vue de rendre disponibles à temps, en qualité, en quantité des semences, des engrais, des pesticides et des services de mécanisation dont les producteurs ont besoin.
Ensuite, réaliser l’aménagement des pistes afin de contribuer au désenclavement de certaines zones de production cotonnière tout en desservant d’autres spéculations agricoles, facilitant le transfert de la production vers les centres d’agrégation et les unités de transformations.
Enfin, garantir dans une certaine mesure, un prix planché rémunérateur sur une période aux producteurs.
Fort de tout ce qui précède, le groupe OLAM s’est donné d’emblée pour ambition dans son plan d’investissement, d’œuvrer à la transformation du coton avec l’implantation des usines textiles au Togo.
Dans son cahier de charge, il devrait œuvrer à l’augmentation substantielle du revenu des cotonculteurs dans trois ans ; améliorer le rendement de la production 600kg/ha aujourd’hui pour atteindre un niveau de performance d’au moins 900 à 1000kg sur le court terme ; renforcer le parc industriel, participer à la recherche et au développement pour une optimisation du schéma cultural etc.
OLAM devrait aussi s’impliquer dans de la réhabilitation des pistes rurales cotonnières pour améliorer la collecte du coton graine et participer également au désenclavement des zones de production agricole.
Avec Olam à partir de 2020 : la production 46.000t à 70.000 tonnes
De 116.000 tonnes avec des revenus aux producteurs s’élevant à 34 milliards F.CFA avant l’arrivée du groupe Olam, la production du coton-graine sous l’ère OLAM connaît une baisse de production des plus spectaculaires.
Selon les données de la NSCT, la production a chuté de 52 528 tonnes (2021-2022), 46 549 tonnes (2022-2023) pour une remontée à 67.718 tonnes à la dernière campagne pour des revenus bruts de 20 milliards F.CFA.
« La campagne cotonnière 2023/2024 vient de se terminer avec les dernières opérations d’égrenage et le paiement des derniers groupements de producteurs de coton. Cette campagne a permis de réaliser une production de 67 718 tonnes, avec un rendement de 844 kilogrammes à l’hectare, ceci marque une évolution de 45% par rapport à la campagne précédente », indique la NSCT dans un communiqué en date du 03 mai 2024.
La note rendue publique précise que « la campagne 2023/2024 a généré des revenus bruts de plus de 20 milliards de francs CFA pour les cotonculteurs, consolidant ainsi le rôle crucial de la culture du coton dans le développement du monde rural et l’amélioration des conditions de vie des paysans ».
A en croire la nouvelle société cotonnière, « ce rebond marque une étape importante dans la revitalisation de ce secteur clé pour l’économie togolaise » s’engageant « à continuer de soutenir rigoureusement les producteurs de coton, afin d’améliorer les performances et de fournir des solutions toujours plus efficaces ».
De plus, dans une capsule vidéo de remerciement aux producteurs, la NSCT tout en leur « remerciant pour leur travail acharné et résilience pour produire des résultats remarquables et encourageants lors de la campagne 2023-2024, a réaffirmé son engagement indéfectible à les accompagner pour des succès beaucoup plus grands ».
« Dans cette optique, nous nous engageons à nous remettre en cause et à travailler sans relâche pour améliorer nos performances afin de vous offrir des solutions toujours plus efficaces. Nous sommes à l’écoute de vos préoccupations et nous nous engageons à améliorer les délais de paiement pour que vous puissiez continuer à gagner et à prospérer.
Ensemble, nous pouvons aller plus loin », relate le message vidéo.
S’il faut reconnaître que les défis climatiques, les attaques des subsides, la démobilisation des producteurs vers le soja, et bien d’autres facteurs (la flambée du prix des intrants sur le marché international, etc.) n’ont pas été du tout en faveur des nouveaux maîtres du coton, certains pointent du doigt la gouvernance même de la filière qui ne fait pas encore unanimité entre les principaux acteurs.
Le malaise est profond et les dernières évolutions amplifient la tension.
Une baisse du prix du coton bord champ fait grincer les dents
Pour cette nouvelle campagne de production 2024 qui devrait déjà démarrer, les producteurs renseignent que le prix des engrais s’élèverait à 25 000 frs et le kilo de la graine de coton à 274 frs contre 300 frs les années précédentes.
Les producteurs de coton face à ces nouvelles mesures, manifestent leur mécontentement et exigent, soit une révision rapide des prix annoncés par OLAM, soit le départ du groupe OLAM.
Ils appellent à une meilleure prise en compte de leurs réalités économiques.
« Aujourd’hui le compte d’exploitation du producteur tourne autour de 300 mille francs à l’hectare y compris les intrants, la main d’œuvre, l’entretien des espaces, etc. Si le prix du coton revient à 274 frs francs, le producteur va gagner combien finalement ? Soyons sérieux, nous préférons ne pas produire le coton si c’est le cas, parce que finalement on a l’impression qu’on produit pour le profit de quelqu’un. Nous travaillons dur pour produire du coton de qualité, mais les prix ne reflètent pas nos efforts ni les coûts de production », confient certains producteurs à agridigitale.tg.
Au même moment, ils soulignent que les prix dans les autres pays voisins pour cette campagne 2024 sont satisfaisants à savoir que le Bénin est à 300 frs le kilo du coton bord champ, le Burkina Faso à 325 frs, le Mali à 300 frs et le Sénégal à 350 frs le kilo. A en croire ces derniers, au Sénégal ou le prix du coton est bien plus élevé, le prix de l’engrais est à 12 000 frs le sac de 50 kg
« Depuis que OLAM est arrivé, aucun producteur n’a reçu un bonus à la fin de la campagne et pourtant par le passé, ce sont ces bonus qui encourageaient le producteur à continuer par augmenter la production. Nous demandons aujourd’hui le départ de ce groupe », lâchent-ils sans ménagement. Certains producteurs dénoncent une absence totale de transparence et un début de laxisme, ce qui constituerait une source de démotivation pour eux.
« Par le passé, la NSCT traite bien les semences avant de nous les envoyer sur le terrain. Il ressort que les semences déjà mises à disposition des GPC n’ont même pas été traitées et que le traitement des semences est laissé au soin des producteurs. Pire encore, le produit de traitement n’est même pas encore disponible », partagent-ils.
Dans les Savanes (nord-Togo), l’un des bassins cotonniers du pays, les producteurs évoquent le retard déjà pris sur les semis pour cause de la situation délétère de l’heure.
« On devrait être déjà prêt et avancer sur les semis parce que dans notre région, nous commençons les semis normalement vers mi-mai pour finir au plus tard entre 10 et 15 juin. Nous voilà à cette heure, le prix officiel du prix au kilo du coton n’est pas encore connu, ainsi que les prix des intrants. Si on ne nous communique pas ces prix au plus vite, nous ne pensons pas vraiment nous donner parce que sur quelle base nous allons prendre les hectares pour la production du coton ? », questionnent-ils.
Ces derniers évoquent aussi, le non versement depuis pratiquement 4 ans des bonus sur le prix du kilo, un acquis perdu avec l’arrivée d’OLAM, fulminent-ils.
Dans la région des Plateaux, d’autres producteurs veulent tout simplement réduire leurs surfaces emblavées, passer 70 à 50 hectares.
« Avec la situation actuelle, nous envisageons réduire beaucoup l’espace de production de coton pour faire le soja et le sorgho. Parce qu’il faut aussi voir les temps de semis et autres déjà très avancés », décrivent-ils.
Selon les spécialistes de la filière, dans les différentes régions du pays, si les pluies s’installent vite et bien, les savanes lancent sa campagne de production en Mai et pour finir entre 10 et 15 juin, la Kara en Juin, les Plateaux vers le 15 juin et la Maritime début Juillet pour finir en fin Juillet au plus grand tard.
« Dans la région centrale où j’ai mon exploitation dans la préfecture de Tchaoudjo, l’année passée à pareille moment, j’avais déjà semé le coton. Mais là actuellement rien n’est encore fait sur mes espaces. La situation cette année sera chaotique. Les prix qu’ils soufflent, que ce soit le prix du kilo ou des intrants, comment le producteur pourrait s’en sortir dans cette situation », fait savoir un des grands producteurs.
L’urgence d’un dialogue constructif
Aux dernières nouvelles, les premiers responsables de la FNGPC renseignent avoir saisi le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé par un courrier afin de plaider pour un retrait pur et simple du groupe singapourien Olam des affaires cotonnières nationales.
« Nous en avons assez, il faut qu’Olam dégage. On veut travailler avec l’Etat comme on le faisait avant. C’est mieux que d’être avec Olam qui mange seul et ne se soucie guère des producteurs », lâche Koussouwè Kouroufei, président de la FNGPC à agridigitale
Lors d’une conférence de presse samedi, les acteurs de la filière contestent même les récents chiffres avancés par la Nouvelle société cotonnière du Togo (NSCT).
« C’est des faux chiffres et on ne sait même pas par quelle alchimie ils les ont obtenus. Depuis même qu’ils sont arrivés, aucun producteur n’a reçu un seul rond comme bonus à la fin de la campagne malgré la hausse des prix de la fibre en 2022 et 2023 », balaie M. Kouroufei de revers de la main.
« Depuis leur arrivée, le rendement au champ ne tient pas. Sur 100 000 hectares emblavés cette année, on n’a eu que 600kg par hectare au lieu de 844 kg. A 600kg, le producteur ne gagne rien. A leur arrivée, ils ont dissous les commissions au niveau de la vente, des intrants. Côté passation de marchés, aujourd’hui c’est un seul fournisseur qui livre les intrants très chers. Nous sommes déçus et nous réclamons leur départ », ajoute-t-il avec nervosité.
Il est clair donc que la tension entre les acteurs est à un niveau extrême et qu’il faudrait appeler tous les camps à mettre balle à terre pour sauver la filière cotonnière.
Un dialogue constructif entre OLAM, les producteurs de coton et les autorités gouvernementales s’impose comme seule alternative pour rétablir la confiance et de favoriser une campagne productive et bénéfique pour tous les acteurs impliqués.
Ce dialogue constructif entre les producteurs et les acteurs du secteur devient impératif pour restaurer la confiance en ce début de la campagne de production cotonnière.
Le chef de l’Etat est ainsi appelé à jouer sa carte de médiation pour une solution consensuelle et durable au bénéfice de chacune des parties prenantes de la filière.
Source : Agrigiditale