Dans le sillage du projet MANSSAH initié par le journaliste Alain Foka, une voix s’élève depuis Lomé. Celle de Roger Folikoué, intellectuel engagé, qui, dans un texte dense et percutant, interroge avec acuité la portée réelle de cette initiative continentale, entre symbolisme, quête de dignité et exigences politiques.
MANSSAH, contraction symbolique du nom de l’empereur Kankan Moussa, se veut une ambition africaine pour l’Afrique. Mais est-ce vraiment le cas ?
S’appuyant sur des références aussi diverses qu’essentielles — de Ragnimwendé Eldaa Koama à Frantz Fanon, de Cynthia Fleury à Ka Mana, de Kwame Nkrumah à Axel Honneth — l’auteur pose une série de questions dérangeantes mais nécessaires : MANSSAH est-il un simple récit visuel bien emballé ou un véritable moteur de transformation politique, sociale et culturelle pour le continent ?
Une Afrique qui parle à l’Afrique, mais à quelles voix ?
La référence au sommet de Montpellier en 2021, où une jeunesse africaine remettait en question les rapports postcoloniaux avec la France, sert ici de point d’ancrage. Folikoué ne rejette pas l’élan de MANSSAH, mais appelle à plus qu’un hommage esthétique à une grandeur passée : il plaide pour une véritable politique de reconnaissance, d’abord entre Africains eux-mêmes.
Comment réclamer respect et justice de l’Occident quand des millions d’Africains ne bénéficient même pas de reconnaissance ou de dignité dans leurs propres États ? demande-t-il. La justice sociale, martèle-t-il, ne doit pas être un luxe, mais une obligation politique.
MANSSAH : une vitrine technologique ou un levier de changement ?
L’auteur reconnaît à MANSSAH la qualité des productions audiovisuelles, l’esthétique léchée, le souci du détail, la volonté pédagogique. Mais derrière cette forme engageante, il pointe un fond parfois peu audacieux, qui effleure les problèmes sans les nommer, qui reste dans l’évocation historique sans toujours affronter le présent.
« Tous les éléments de la culture ne sont pas, ipso facto, des valeurs », écrit-il, appelant à une rigueur intellectuelle et un espace public critique, ouvert à la contradiction, où la parole libre est valorisée, même (et surtout) quand elle dérange.
Une réponse aux cris silencieux de la jeunesse africaine ?
Le texte s’achève sur un rappel poignant : la lettre laissée en 1999 par les jeunes guinéens Yaguine et Fodé, morts en tentant de rejoindre l’Europe. Leur cri, encore vibrant, rejoint les interrogations de l’auteur : MANSSAH est-il à la hauteur de cette détresse ?
Peut-il répondre à cette aspiration vitale de vivre dignement en Afrique, sans la fuir ? Peut-il transformer l’émotion en action ? Et surtout, peut-il générer un projet commun, exigeant et inclusif, au service d’un continent qui ne veut plus seulement exister, mais vivre, penser et se redéfinir par lui-même ?
Un projet en quête de sens
En somme, Roger Folikoué ne condamne pas MANSSAH : il le questionne, le défie, dans un appel à l’approfondissement. Pour que ce projet ne soit pas un prolongement esthétique du sommet de Montpellier, mais bien une matrice d’un renouveau africain, fondé sur la justice, la reconnaissance, et la participation réelle des peuples africains.
La question reste posée, lucide et urgente :
MANSSAH : réponse authentique de l’Afrique à l’Afrique, ou simple reflet de ses rêves inachevés ?
« Si penser est aussi une remise en question permanente, alors il est temps de se demander si MANSSAH n’est pas seulement un hommage à l’Histoire, mais une invitation au courage politique. »
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